12 novembre 2008

Jeux d'enfants

C'est par tant de fois que je fus ici, et même en y pensant très bien, je n'ai pas souvenirs d'y avoir été heureuse. Le sable qui crisse sous mes bottes, les grands sapins devant nous qui ne meurent pas, eux non plus. Je sens encore l'odeur de la sève sur leur tronc robuste et le couinement imaginaire des fourmis à leurs pieds quand nous détruisions leurs nids. L'école primaire de mes premiers instants, là où on me prédisait un avenir brillant d'astronaute, de médecin, d'un métier altruiste et gratifiant. Je serai une grande personne qui serait quelqu'un, m'affirmait-on, sans que je ne comprenne trop pourquoi certaines grandes personnes n'arrivaient à n'être que quelconque.

Petit sourire amer à ce vieux souvenir; maintenant je fais de l'art égoistement, pour me sauver moi-même, de moi-même, me sauver sans doute des récréations passées ici à déjà savoir que dans ma différence, j'étais une exception. J'imagine que je rêvais dès lors du jour où je remettrais les pieds ici avec lui, prouvant à la gamine que j'étais qu'elle avait raison.

J'ai eu une petite pensée à l'adresse d'une ancienne camarade, partageant ma différence corporelle : elle étudiait maintenant en chimie, avait toujours garder son aigreur et était désormais lesbienne. Petit frisson. Une autre pensée pour la meilleure amie de l'époque, qui avait peur de tout et de rien, et qui marche présentement à mes côtés, en théâtre et en folie. Qui l'aurait cru...

On a fait rouler des cocottes de pin qui s'étaient perdues par hasard jusqu'au milieu du terrain asphalté. J'ai eu l'impression, dans ce froid, emmitouflée avec sa présence réconfortante, que c'était un moment important, sans pouvoir dire exactement pourquoi. Le genre de moment où je regarde partout, un peu naïvement, en étant consciente d'être en train de vivre ce qui allait devenir un nouveau souvenir. Un nouveau souvenir doux.

Quand il a grimpé dans le module de jeux malgré sa jambe blessée, j'ai su tout de suite qu'il voudrait que j'en fasse de même, et je me suis revue tant de fois au pied de ce module coloré, regardant les autres enfants grimper, se balancer, même se blesser. J'aurai tellement aimé tomber du bas de ce module ! Mais mon petit corps déjà trop gos et malhabile n'a jamais osé s'y aventurer, de peur d'y rester coincé.

Allez viens, viens, mon bébé, qu'il me dit, sans savoir que je suis pétrifiée devant ce vestige de mon passé. Je me revois, en leggings, les cheveux courts - heureusement que mes parents ne m'ont pas choisi un prénom trop masculin - et les grands chandails pour oublier mon petit ventre trop gros. J'ai revu mes souliers à velcro et mon casque de vélo mauve. Allez, petit bébé, c'est facile, qu'il me répétait, alors qu'il était déjà au sommet. Je suis le roi du monde, tandis qu'il lâchait ses mains et se laissait aller contre le fer du module. J'ai eu peur, puis j'ai traîné mes bottes jusqu'à l'escalier et j'ai traversé le pont de corde prudemment. J'ai toujours été trop prudente, trop vieille, trop fânée, même à la petite enfance. Je n'ai jamais été piqué par un taon ou une abeille ou une guêpe, je n'ai jamais brisé mon bras ou ma jambe ou les deux, jamais vomi et presque pas saigné du nez. Pas de risques, pas de pont en cordes, pas de vélo sans casque, surtout pas de rollerblade, ni de camp de jour. Surtout pas.

Après avoir posé mes deux pieds sur la structure métallique et surtout, solide, il était là, il m'attendait, souriant, dans la noirceur, avec sa tuque qui lui donne l'air d'avoir l'âge de mes souvenirs, les bras grands ouverts. Quand je m'y suis glissée, pour la première fois en ces lieux, je m'y suis sentie aimée.

On est resté comme ça longtemps, immobile, en silence. J'observais le ciel étoilé à travers mes lunettes buées, et je l'ai senti frissonné contre moi. Il fait froid, hein ? Oh,tu sais ... Il a pris mon visage entre ses doigts gantés. Non, je sais pas. Dis-moi-le. J'ai rougis un peu. Quand je suis avec toi, je n'ai jamais froid.

Doucement, il m'a entraîné vers le bout du module, là où se trouve le mat que je n'ai jamais osé monter, ni descendre, le mat dont je ne me suis jamais approchée. C'est le temps de vaincre ses peurs, bébé. Allez!

En joignant le geste à la parole, il descendit agilement du module, et me tendit la main. Je vais te guider, te dire où mettre tes pieds, tu vas tellement être fière de toi après.

J'ai levé la tête vers le ciel et j'ai dis merci, à qui, je sais pas, mais merci, de m'être rendue ici, là, présentement, avec l'homme le plus formidable et imparfait de la terre, qui complète tellement la femme d'exception et de défauts que je suis. À deux on a nos qualités qu'individuellement, on ne peut trouver soi-même.

J'ai posé ma grosse botte maladroite sur la spirale de fer verte et j'ai respiré, longtemps. J'ai pensé à Mickey Mouse, aux Babysitters, et même à Harry Potter. J'ai pensé aux garçons qui me jettaient du sable dans les cheveux du haut de ce module sur lequel j'avais rageusement grimpé sans jamais me résoudre à toucher au mat, et j'ai eu envie de pleurer, un peu. J'ai dix-neuf ans, et j'ai encore mal à la fillette que j'étais.

Mes doigts glacés s'accrochaient au métal comme si ma vie en dépendait. Mes pieds, petit peu par petit peu, se sont laissés guider par la voix douce et chaude de mon amoureux, et en moins de deux minutes, j'étais sur la terre ferme, à sautiller avec chéri, à pleurer franchement, à caresser Amélie la gamine et à lui donner un sac de deux piasses de bonbons mental.

Il m'a pris par la main, tu vois que c'étais pas si pire, je t'ai dis qu'ensemble on vaincrait toutes tes peurs, et quand nous sommes ressortis de la cour de récréation en passant près des structures de ballon-poires, il me semblait qu'enfin...enfin...

J'avais fais la paix avec mon passé.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

WOW... Salut, en fait, je sais pas quoi dire, je sais pas comment te dire. C'est peut etre qu'aujourd'hui c'est une journée execptionnel mais j'ai le goût de te le dire. On est allée à la même école, on a eu des craintes semblables. Je me suis revue toute petite moi aussi dans cette même cours d'école!

Merci Amélie d'écrire si bien.
Vraiment tu m'as beaucoup touchée à l'instant.

Chloé
xxx

Amélie a dit…

Wow, merci pour le commentaire. Ça me touche vraiment,vraiment beaucoup. Je me doutais bien ne pas avoir été la seule dans cette situation mais que quelqu'un comme toi, d'aussi proche mais tellement loin à la fois, s'y retrouve aussi...
Ça me touche beaucoup.
Merci de me lire. : )