30 janvier 2008

Ce matin

Ce matin, vers neuf heures, il pleuvait. Il faisait gris, presque brun, et les arbres s'étaient tus. Je sentais mon cœur glisser vers le sol comme les rigoles d'eau dans la grande fenêtre de la bibliothèque. Mes petits pieds accotés discrètement sur la causeuse devant moi, le Barbier de Séville entre les doigts, j'ai respiré.
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Rien ne bougeait, l'horloge était arrêtée, j'étais gênée d'exister dans un lieu si silencieux, alors que moi, moi... je suis bruyante. J'entendais mes cheveux pousser et mes ongles aussi, et ça me gênait. Un silence accueillant, une odeur aseptisée, mais qui ne se débarrasse jamais de celle des livres usagés, qu'on a aimés, prêtés et trimballés.
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Damien Rice me priait de ne pas avoir d'enfants accidentellement et je trouvais ça charmant. De la musique, mais surtout, le silence ambiant, encore. Le silence de par les lèvres closes, les yeux rivés sur les pages et les pages et les pages qu'on tournait en un bruissement presque imperceptible.
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Et moi, au milieu de tout ça, grand sourire et peine béante, j'avais envie de l'aimer, lui — mon homme. J'avais une envie pressante, puissante, et désarmante, de l'aimer. De le sentir en moi, avec moi, partout, sur chaque partie de ma peau recouverte de vêtements ou non, de l'emmener en odeurs et en souvenirs, qu'il me suive quand je vais m'asseoir tristement seule à la bibliothèque et qu'il pleut, comme ça, les larmes que je n'ai pas.
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C'était un beau temps pour s'aimer; il faisait trop humide pour réellement songer à sortir, c'était trop mouillé partout pour avoir une autre idée que de s'aimer. La tête dans les nuages, le corps paisiblement étendu, j'aurai voulu, dans un élan étrange, qu'on vienne m'aimer. Qu'on s'approche de moi subtilement et qu'on pose ses mains sur mes épaules. J'aurai voulu rompre le silence en sursautant et rire un peu; j'aurai voulu sourire d'être si gentiment dérangé dans ma lecture qu'au fond, je ne lisais pas.
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Ce matin, j'avais envie d'être solitaire à deux. Je n'avais pas envie de mots d'amour et de promesses éternelles, j'avais envie d'avoir quelqu'un à qui penser et qui penserait à moi. Quelqu'un à qui texter que le ciel s'est couvert d'un gris charbonneux me faisant penser au gris de ses yeux. Quelqu'un pour me répondre que je suis beaucoup trop romantique, mais que merci, c'était gentil. Quelqu'un à qui texter que le silence me parle bien plus que tout le reste du monde, ce matin.
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Quelqu'un à qui dire de ne pas faire d'enfants accidentellement, pas parce que j'en mourrais, simplement parce que ça serait triste, et que les teintes sombres de la matinée n'évoqueraient plus de jolies phrases dans ma tête. L’entendre dire qu'effectivement, ce serait triste. Et que jamais, jamais il n’allait enfanter une autre femme que moi, tant que je serai partie présente de sa vie, l’unique amour du moment.
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Quelqu'un avec qui s'asseoir devant les si grandes fenêtres de la bibliothèque, quelqu'un avec qui rire des bottes en fausse fourrure hideuse de la jeune fille qui vient de passer, quelqu'un avec qui être bien, tout simplement.
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Je n'avais pas envie de baisers enflammés, de sexe interdit entre deux étagères, de cœurs et de roses et de bijoux, j'avais envie d'un ami, avant d'un amoureux.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Wow, c'est super beau. Ce texte là fait remonter plein de sentiments, plein de feelings. Et c'est vrai.

MoutonRosE a dit…

Après tout, on s'est tous déjà senti comme ça un jour. Il n'y a parfois pas si longtemps...