6 janvier 2008

Fragrances assorties [1]

L'avis tant attendu ne venant pas, je sollicite les vôtres. C'est ma première tentative sérieuse de fiction qui ne soit pas calquée sur ma propre vie, je suis un peu nerveuse. C'est mon bébé, aussi ne vous gênez pas pour commenter,critiquer, me dire de cesser à tout jamais d'écrire, c'est pas grave. Je sais que quelques personnes lisent mon blog, je ne quémande pas de commentaires souvent, mais là, j'en ai besoin.

Moi, je trouve ça pas mal. Mais de toute façon, je publie tout aussi, des textes merdiques au essais du Cégep, alors...

J'ai écris hier soir, durant la nuit, de 11hr42 à 1hr50 précisément. Je ne suis pas une virtuose de l'écriture, il y a des coquilles, des bouts maladroits ou incomplets, superflus. Je vous la livre sur une plateau d'argent, la sueur presque dégoulinante sur mes trempes. Elle vient de naître. C'est son histoire, à elle. Elle qui n'existe pas réellement, elle qui est une partie de vous, de vous tous. C'est notre collectif, nos phobies et nos pires défauts.

C'est moi, c'est vous, c'est elle.



Fragrances assorties

Je n’avais pas pris de bains depuis le jour où il avait pris ses valises et déserté l’appartement. Moi, je prenais des douches. C’est plus rapide, et moins encombrant. Je conférais une vertu cérémoniale au bain, mais je n’aime pas respecter les cultes et toutes ces flagorneries m’embêtent; une douche, ça ne laisse pas place à la réflexion, au doute, aux souvenirs vagabonds qui en profitent pour s’échapper inévitablement des tiroirs de ma pensée, où je les avais enfermés.

Je ne sais pas pourquoi je pris un bain, ce soir-là. Je n’avais plus l’habitude d’y introduire mon corps maladroit et plus apte à ce type d’activité relaxante, aussi avais-je l’impression que ce rituel sacré perdait de son importance à mes yeux au fur et à mesure que j’immergeais mes membres rougis par la chaleur de l’eau quasi bouillante. Je pataugeais dans ma baignoire, perdue dans si peu d’eau parfumée, ce qui m’arracha un sourire : ce n’était pas bien différent de ma vie.

En m’étendant contre les parois gluantes de ce bain autrefois béni, je songeais à ma dernière trempette en ces lieux de sacrements, qui avaient failli devenir bien malgré eux ma sépulture; cette fois où j’avais inondé de larmes et d’eau souillée ma salle de bain et celle de la voisine d’en dessous. J’avais rempli ma baignoire à rebord, je voulais m’y noyer, je crois. La perspective de prendre mon bain en solitaire avait été assez déprimante au point de songer à ne plus pouvoir prendre de bains du tout. Mais on ne sut rien de ma détresse. On accusa la carafe de vin vide qui trônait sur le lavabo, et moi, je blâmais le sommeil. Ce fut un alibi silencieux, crédible et au final, parfait.

Après cet épisode peu reluisant – enfin, pour moi, car pour ce qui est de la céramique de ma salle de bain, elle ne s’était jamais auparavant si bien portée —, je n’osais plus fréquenter si intimement ma baignoire et je commençais à m’acoquiner avec la douche. Je vivais deux ruptures à la fois, j’étais assaillie de partout. Trahie par mes deux plus fidèles alliés qui m’avaient trompé, je fis une pierre, deux coups pour me venger : je fis l’amour sous la douche avec le meilleur ami de mon ex.

Bien fait pour vous, fourbes! Vous l’aviez bien mérité…

Si mes propres bassesses avaient comme dessein de soulager l’implacable tristesse qui m’affligeait, elles n’eurent pas l’effet escompté : l’ex n’apprit jamais l’incartade extraconjugale de son ami et mon drain de douche était… obstrué.

Je boycottais alors et la douche, et l’amour. J’errais dans mon appartement trop grand pour une jeune femme esseulée et j’entrais dans de violentes crises d’hystérie que je ne m’expliquais pas; c’était peut-être ça, toute la passion retenue que je n’avais jamais exaltée avec mon compagnon de vie des dernières années. C’était peut-être le salon - dénaturé de ses jeux vidéo et déconcerté de toujours trouver la télécommande au même endroit en tout temps – qui déclencha une alarme en moi : il semblait être celui d’un inconnu; sans lui, je n’étais plus chez moi.

Pendant ces cinq ans, il avait été mon fort, mon refuge, la cachette de mes songes et envies, l’hôte de mes confidences les plus osées; il m’avait aimé dès le départ malgré ma furieuse tendance à lui montrer mes côtés les plus imparfaits et qui auraient découragé les plus coriaces et moi, à force d’essayer, j’y étais arrivé à un point de non-retour : on ne peut revenir d’un amour comme ça. Je lui avais offert l’intérieur de mes cuisses bien avant l’intérieur de mon cœur; j’étais comme ça, moi. On baise d’abord, on discute ensuite.

Alors je cherchais en hurlant durant des heures ses maudits boitiers de disque de jeux vidéos, les mêmes dont j’avais tant râlé et maugréé dans le passé. J’ordonnais à mes amies impuissantes de cacher la télécommande quelque part dans mon salon à la dérive et même quand je la trouvais, je fermais les yeux pour faire durer le plaisir.

Et surtout, surtout… je boudais la douche.

***

Partager mon quotidien avec un homme aux antipodes de mes pôles géocentriques m’avait d’abord laissée froide. Nous formions un couple plus ou moins assorti depuis longtemps – suffisamment longtemps pour s’installer ensemble. Il me semblait, à moi et à mon entourage, que cela allait de soi. Au début, je voulais y croire. Je n’avais pas le choix. Et entre rester seule ou être mal accompagnée, je choisis l’option la plus lâche. Je ne savais pas que même à deux, nous pouvions être seuls.

J’ai souvent pensé partir, quitter ces murs de carton de malheur et les cris qu’ils contenaient parce que de toute façon, ailleurs, c’était forcément plus vert qu’ici. Je me surpris à penser que c’était même toutes les teintes de l’arc-en-ciel – couleurs très éloignées de la grisaille de notre appartement. Je ne savais pas qu’il y pensait aussi; avoir su, je n’aurais pas tout tenté pour l’aimer, ou du moins, je me serai gardé d’y parvenir.

Ce n’est qu’en me quittant qu’il a vu ma chaleur. Car j’ai fondu, à coups de larmes et de salive, à coups de cris et d’insomnies. Tout me paraissait trop grand. Notre lit, où nous avions joué comme des enfants et joui comme des adultes; notre no man’s land où nous faisions et la guerre et la paix, car je ne supportais pas la simplicité d’un moment de tranquillité, j’avais besoin de le confronter pour me persuader que je n’étais pas éteinte. J’y dormais seule, en tâtant l’obscurité de mes doigts qui l’empoignaient parfois au milieu de la nuit et qui l’aventuraient de force dans mes contrées foisonnantes. J’y pleurais seule, car même en période d’hostilité, il ne m’avait jamais abandonné aux larmes.

Sauf la nuit de son départ, quand trempée et aliénée, j’ai sangloté jusqu’à l’aube, en tendant l’oreille et l’épiderme au moindre bruit, à la moindre caresse familière qui tardait à venir — qui n’est jamais venue percer ma nouvelle obscurité.

Il faut bien une première fois à tout!

Mes premières fois de ma nouvelle vie sans lui étaient de vrais échecs retentissants qui se soldaient inévitablement par des larmes et des cris; j’étais incapable de fonctionner toute seule. Je n’ai jamais tant pleuré que les mois suivants son départ, mes rares rires se changeaient en lamentations et en supplications silencieuses. J’avais perdu mon autonomie, ma débrouillardise; mon instinct de survie m’avait déserté.

Je ne m’attendais pas à son départ. Si au moins, j’avais eu des doutes, des signes précurseurs, des soupçons! J’aurai pu aller au pub du coin rejoindre les amis et leur annoncer, presque triomphalement, que mes hypothèses s’étaient confirmées. J’aurai alors dit que c’était le pire des salauds, j’aurai menti sur la longueur de son membre pourtant respectable et, après avoir dressé la liste exhaustive de ses moindres petits défauts, je me serai enivrée pour oublier les cinq années passées avec lui en vain.

Mais je n’ai pas pu, car je n’ai rien vu venir.

Et je n’ai rien dit non plus. Je n’ai pas pu, quand j’ai vu sac à dos, valises et malles s’empiler sur les boîtes déjà prêtes à quitter dans son déménagement précipité. Ce n’était même pas mon pire cauchemar qui se réalisait – cette situation, cette supposition abstraite d’une rupture initiée par lui ne m’avait tout simplement jamais effleuré l’esprit. Je croyais que ce serait moi qui un jour, dans un excès de colère et d’enthousiasme, claquerais la porte tout bonnement.

Je n’ai pas pu baragouiner ce n’est pas possible, c’est une blague, ce n’est pas vrai, car c’était cruellement trop réel pour que ce puisse l’être. Et quand il prenait une décision de cette envergure, je savais qu’elle était… réfléchie, soupesée, évaluée et irréversible, et ce, bien avant son exécution.

J’ai fait bouillir de l’eau pendant qu’il emportait dans le pick-up de mon futur amant de toilette un grand pan de ma vie – un peu de mon cœur aussi. Dans des instants aussi dramatiques, plusieurs filles auraient crié, se seraient interposées entre la porte et leur désormais ancien amoureux, et elles auraient toutes sans exception pleurée. Je n’étais pas exceptionnelle : je pleurais en buvant du thé. Ma grand-mère disait que boire du thé, c’était bon pour se calmer, parce que ce n’était pas, par définition, une activité trop, trop stressante.

J’abusais de ce conseil la plupart du temps, car je raffolais de cette boisson, mais, en voyant les cadres se détacher des murs et les chats se réfugier plus loin du vieux divan qu’on avait tassé dans un coin dans l’espoir de camoufler le vide laissée par l’encore plus vieille berceuse qu’on venait d’emporter… j’ai trouvé que c’était stressant, boire un thé vert en priant pour ne pas le renverser tant que nos mains tremblent et sont hors de contrôle.

J’assistais, impuissante, à la destruction de notre couple. Le chamboulement de mon appartement me laissait de glace et je voyais nos amis communs le réaménager sans la présence de mon conjoint – j’avais toujours détesté cette appellation, mais j’en comprenais pour la première fois la nécessité – sans broncher. J’avais la tête dans un étau et beaucoup trop de mots qui se bousculaient contre mon palais – trop de mots pénibles, révélateurs et puissants, au contraire de la loque humaine que j’allais devenir, que je devenais déjà un peu à mesure que l’heure avançait et que l’appartement s’épurait de lui.

Quand mon nouvel ex passait devant moi, je n’arrivais pas à croire à quel point je l’aimais, à quel point c’était à la fois trop tard et si clair, pour faire changement. J’aurai voulu me racheter pour tous les je t’aime évités, esquissés, à peine prononcés; j’aurai voulu prendre le temps de parcourir son corps pourtant maintes fois exploré et, depuis le temps, colonisé. Je l’aurai découvert encore et encore, et j’en aurai profité. Je n’avais pas été une bonne amoureuse, même si j’avais tenu à merveille les rôles d’amante et, plus rarement, d’amie. Mais je ne croyais pas pouvoir agir autrement; l’amour, lui et moi, ça ne faisait pas bon ménage.

Il avait peut-être senti que je m’étais liée à lui par dépit, parce que tous les autres étaient engagés et que malgré mes nombreux défauts, briseuse de couple n’y était pas répertorié. Ou alors, il n’avait rien senti du tout, car je n’étais pas des plus démonstratives, sauf la nuit. Ou le jour, cela dépendait de notre humeur. C’était probablement le sexe qui avait été, les premières années, la colle de notre couple : je n’étais jamais rassasiée et lui…vous comprenez !

J’étais heureuse. Si je ne l’avais pas été, cette histoire ne pourrait exister : je ne serai pas restée obstinément en couple avec une source de malheur supplémentaire, pas question! J’imagine que je l’aimais déjà au début, même si j’en pensais le contraire. Nous avions nos hauts et, plus souvent, nos bas, et parfois nous touchions presque le fond du baril, ce qui, invariablement, nous permettait de jouir des hauts occasionnels, qui devenaient de grandes fêtes auxquelles étaient conviés durant des jours entiers nous, notre lit et notre imagination débordante. Même dans nos moments les plus désastreux, nous arrivions toujours à être complices au lit; c’est ce qui nous sauva et nous permit de continuer durant cinq années ce drôle d’assortiment que nous étions.

C’est pourquoi, quand il me dit qu’il avait envie de hauts quotidiens et de bas accidentels, je ne pus lui en vouloir. Ce n’était pas facile, notre vie à deux. J’imagine que c’était plus doux avec une autre. Je voyais dans ses yeux qu’il avait une association mentale à cette description de vie commune, qu’il pouvait y mettre un visage, des courbes et un timbre de voix. J’en fus blessée. Je voulais bien qu’il me quitte, mais pas qu’il m’est déjà quitté sans m’en prévenir, pas qu’il est partagé son intimité avec une autre moi version améliorée sans m’en aviser.

Il vint s’asseoir devant moi et ma tasse de thé seulement quand toutes ses affaires et mes bouts de vie aussi furent prêts à partir. Moi, je pleurais beaucoup trop, et je n’avais peur qu’un mot, un seul mot franchisse mes lèvres. Je ne voulais pas parler, je savais que j’allais tomber dans le pathétisme de bas étage et dans les supplications; j’avais peur qu’il change d’idée, maintenant que la mienne était faite.

***

Si le sexe fut notre premier point d’intérêt commun, nous avions vite découvert que nous partagions aussi une passion viscérale et déchirante, non pas l’un envers l’autre – enfin, pas à ce moment-là –, mais envers l’écriture. Un soir où j’avais vraiment failli démissionner et de mon emploi de l’époque et de mon union avec lui, je sortis rageusement mon beau cahier d’écriture secrète, et assise au milieu du salon – d’où son côté décisif de notre couple –, je composais une chanson sur son nouvel emploi à lui, sur son statut d’écolo-grano-recycleur et donneur de leçon d’idéaux déchus dans cette secte – oh pardon, je voulais dire organisme — qui m’avait désarçonné la veille.

À ma grande surprise, il sortait de son sac le sien, s’assit près de moi et en quelques heures, m’adressa une réponse – sa réponse. Durant ses heures, je l’avais observé écrire, raturer et recommencer, reformuler et tout barbouiller les précieux mots que je considérais miens, qu’il choisit avec soin, sachant qu’ils étaient à eux seuls mes enfants, mes bébés, les fruits de mes entrailles. Chaque mot de chaque phrase qu’il s’éreintait à régurgiter pour moi sur papier me donna une raison supplémentaire de croire en notre amour. Et depuis, quotidiennement, nous écrivions ensemble. Parfois véritablement, en mélangeant nos deux plumes dans l’un ou l’autre de nos cahiers, sinon nous griffonnions séparément et nous nous empressions de faire lire à l’autre ce que nous avions eu envie de lui partager ce jour-là.

Quand il ouvrit la bouche, le jour de son départ, je suis que c’était un de ses textes qu’il allait me réciter, un texte secret qu’il m’avait caché, comme tous ceux que j’avais écrit moi aussi pour le quitter mais que je ne lui avais jamais lus, parce que j’avais décidé de rester;comme tous ceux que je composerai après son départ. Je le sus par la commissure de ses lèvres qui frémit et par l’imperceptible plissement de ses yeux au moment de la concentration – et il se concentrait souvent, dans la vie comme au lit. Je sus aussi que cela serait bien plus douloureux si son discours avait été pensé, travaillé et modelé, que s’il avait été spontané et brutal; cela me confirmait son infidélité et son envie d’aller voir ailleurs, parce que je n’étais plus assez verte pour qu’il ne convoite pas le terrain du voisin.

Habituellement, dans des grands moments marquants comme ceux-là, je parlais tellement que je n’arrivais jamais à me souvenir quelles formules d’usage on me servait pour la forme, pour ne pas me dire simplement que j’étais invivable, rebutante et déplaisante à côtoyer. Mais quand il est parti, j’étais sidérée à un point tel où l’écoute était ma seule option valable. Je ne comprenais pas, et je voulais saisir pourquoi il avait décidé que terminer ainsi notre histoire était, pour lui, sa seule option valable. J’écoutais, ou je fuyais, mais je ne pouvais pas fuir ce raz-de-marée qui, le matin même, m’avait embrassé le bout du nez avant de partir pour l’université.

J’ai partagé avec toi tant de mots, bien plus que de maux; pourtant, ils étaient tous aussi douloureux, voilà pourquoi je pars. C’est ce qu’il m’a dit et même si j’avais voulu une autre raison plus valable, malgré moi, je savais que tout avait été dit. Il ne voulait plus souffrir, et moi, c’est tout ce que je savais faire : faire souffrir les autres. J’ai interprété immédiatement sa phrase phonétiquement confondante ainsi, car je me refusais à croire qu’il y eut entre nous plus de mal que de textes achevés.

Je sais bien que j’ai tort, mais je voudrais tant que ce soit le cas…

Ma bouche s’est déliée, je lui ai dit pars, va-t’en, maintenant. J’ai laissé tomber la tasse de thé sur la table au moment où il franchissait le seuil de la porte sans se retourner au son qu’elle fut en s’y fracassant : ma première gorgée sans lui à mes côtés venait d’échouer.

La première d’une longue série.

1 commentaires:

Anonyme a dit…

Wow, je trouve ça bien. Vraiment très bien. Depuis que j'ai commencé à lire ton blog, je ne peux plus arrêter tellement je trouve que tu écris bien, que tu trouves toujours les bons mots pour faire part de ce que tu ressens. Wow, vraiment, bravo. Tu as un talent extraordinaire et je suis sûre que ça te mènera loin!